Fondatrice de l'institut de la qualité de l'expression et membre du jury du , Jeanne Bordeau nous fait l'honneur d'un texte sur la créativité
Arrêt sur image ! Voici le feuilleton à suivre de ma petite réflexion inspirée par le troisième laboratoire créatif de l’Union des Marques . En effet, les publicités récompensées pour leur créativité portent des enseignements instructifs, pour les amoureux du langage et de la publicité.
LES CHANTS DE LA PUB
Quand la pub entonne le chant direct
Désormais les créatifs n’ont pas peur de parler directement au consommateur. Pas de langue de bois pour expliquer aux propriétaires de chiens, que salir le trottoir avec les déjections canines est une abomination. Dans une affiche colorée et inspirée des fameuses « Campbell’s Soup Can », de Warhol, on peut lire le slogan suivant : « Parfois une crotte peut être de l’art. Pas celle de votre chien 1 ». D’ailleurs, hors des publicités en compétition lors du laboratoire créatif, les crottes de chiens semblent inspirer de nombreuses campagnes, teintées d’humour et de pertinence du « On recherche le maître de Dédé la souillure serial krotter » créé dans la ville de Mondeville en Normandie au « Je n’utilise pas encore les toilettes, sois un pote ramasse ma crotte » à Montauban.
Même volonté de dire les faits directement, quand cette fois, il est question de sauver la planète. Chaque consommateur devient le potentiel sauveur de la Terre. C’est ce choix qui inspire une création pour la voiture électrique de Citroën. Ici, les détails techniques sur les performances du véhicule ne sont pas mis en avant. Ce qui compte, c’est l’énergie vertueuse de l’auto branchée à l’électricité, ce qui est « slogué » par ces mots : « A brancher sur une prise de conscience ».
Et puisqu’il faut accompagner le consommateur, dans tous les gestes de la vie quotidienne, on découvre aussi cette publicité sobre imaginée pour Carrefour. Sur un fond blanc, est indiqué : « Cet été, Carrefour est heureux de vous offrir cet allume-feu pour votre barbecue ». L’allume-feu est l’affiche en papier. Ainsi la pub se consume pour améliorer le quotidien de chaque consommateur. En amoureuse des mots, je remarque que c’est encore une phrase clé qui fait saisir le sens de la pub et, qui se retient.
Une pincée d’humour
Le palmarès du laboratoire de l’Union des Marques ne nous laisse pas oublier que l’humour est à jamais un allié de la pub ! L’émotion est toujours présente car elle va du rire aux larmes.
On peut s’amuser de jeux de mots comme par exemple « Belle toute Nuxe ». On remarque également pour Chavroux cette belle image de loups. Des loups affamés qui tournent autour d’un fromage de chèvre. La chèvre de Monsieur Seguin se transforme en spécialité fromagère Chavroux qui par son odeur alléchante, attire les loups.
Plus inattendus, l’humour et le jeu de mots marchent également pour le secteur de l’assurance. Entourée d’eau, une dame se détend sur son canapé et cette scène est associée à la marque AXA. La légende dit : « Après les inondations, elle se relAXA ». Une façon audacieuse d’utiliser un nom pour forger un verbe symbole de sérénité, malgré le sinistre présent tout autour de l’assuré rassuré.
Trois, deux, un….Disruption et tendances
Nous entrons alors, dans une nouvelle ère de « pédagogie sans amidon ». Les pubs deviennent cash, très cash. On cherche à créer un choc visuel avec des mots qui cognent ! Pas de volonté de séduire mais, un désir de changer le comportement de celui qui croisera ce type de message. La pub et son message se taguent à jamais dans les consciences. Car frapper l’attention, c’est bouger le consommateur et à nouveau l’émouvoir. En effet, par des faits, ne l’oublions pas, on peut aussi aller solliciter le sensible.
Pour lutter contre la pollution des rues par les cigarettes usagées, nous avons un « Rien à foutre » en dessous d’une Tour Eiffel, sauf que ce monument et cette phrase sont formés à l’aide de mégots jetés sur la voie publique. Et, on conclut par un « et si vous appreniez le respect de votre environnement ? Jetez vos mégots dans un cendrier ».
Lutte contre les incivilités oblige, on est aussi interpellé par ce sac plastique placé dans une boîte en verre, comme s’il s’agissait d’un bibelot. Le tout est agrémenté de cette piquante remarque : « souvenirs de plongée », comme un trophée de l’insalubrité !
Parallèlement, on notera que les réseaux sociaux aiment propager les campagnes anti-civilités réussies. La ville de Paris a ainsi fait appel à la Youtubeuse Swann Périssé pour dénoncer, via une vidéo et une chanson, les épanchements d’urine dans la rue. La pub doit donc songer à être plus que de la pub et, à se placer au cœur pour irriguer l’océan du web.
Ainsi va la pub
S’il fallait quelques conclusions rapides de cette intéressante compétition publicitaire, créative, contemporaine et émouvante, on pourrait déduire que la créativité n’est plus jamais gratuite. C’est une créativité efficace au service d’une cause ou d’une marque et le plus souvent c’est une créativité qui sensibilise. Comme c’est le cas avec cette pub qui présente des bonhommes dessinés, aux silhouettes de couleurs graduées, accompagnées de cette indignation: « et vous à partir de qui refusez-vous de louer votre appartement ?».
Oui, le « vous » et l’interpellation sont aussi des ingrédients de la pub en 2019. On est entré en conversation. Les expressions sont variées et les créatifs essaient de donner de l’ampleur à leurs messages, bousculant les consciences et les cœurs.
Déranger et toucher pour marquer les esprits et briser l’indifférence.
Il y a donc des chants de la pub et des champs sémantiques. Les marques et leurs publicités doivent donc être plus que jamais dans le ton de l’époque et respirer avec.
La valeur ajoutée d’un message se mesure toujours à la trace, la mémoire qu’il laisse dans l’esprit et le cœur de chacun. Si l’on énonce : « le lundi au soleil », on voit immédiatement Claude François et l’ambiance légère des années 70. Si on annonce « I gotta feeling », on a tout de suite en tête le tube dansant de Black Eyes Peas, sacré en 2009 « single digital le plus vendu de tous les temps ».
La pub est donc aussi une chanson dont les refrains sollicitent la sensibilité des consommateurs, chantent l’époque et secouent les mémoires. Il faut jouer avec les mots, oui… Mais il y a plus que jamais danger, il faut donc évaluer la portée de ses propos. Et c’est seulement alors, quand on a bien évalué l’irradiation d’une création, qu’elle peut s’installer pour longtemps dans des slogans au long cours.
Jeanne Bordeau
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Jeanne BORDEAU est la créatrice d’un bureau de style en langage, l’Institut de la qualité de l’expression, auquel des entreprises françaises et internationales confient depuis 1998 des missions de diagnostic, d’organisation de leur chaîne éditoriale, de création en langage et d’écriture. A l’origine de douze méthodes déposées à l’INPI (Baromètre de mesure de la qualité de l’écrit digital, charte sémantique, charte de style, design verbal…), Jeanne Bordeau est conférencière et a enseigné à l’école Holden, à la Sorbonne et à l’ESG. Décrypteuse de tendances, elle anime un Lab de tendances qui analyse l’évolution du langage économique : dix livres, trente études de tendances. Editorialiste, elle signe dans cinq magazines référents des chroniques sur les concepts de la transformation digitale et sa sémantique. En 2017 elle est élue Top voice LinkedIn. Artiste, elle expose, depuis onze ans, des « tableaux contes » qui racontent le langage de l’époque. C’est désormais une œuvre de 11 000 mots.