L'analyse d'Alban Lambouroud, président du Club Fiscal de l'UDA, sur l'annulation du redressement fiscal de Google par le Tribunal administratif de Paris le 12 juillet dernier.
Les jugements Google auront au moins eu l’intérêt de mettre en lumière, tout du moins pour le grand public, certaines arcanes publicitaires. Non, utiliser Google n’est pas gratuit. Ni pour les annonceurs, qui s’avèrent être facturés hors de France, ni pour les internautes dont les données sont exploitées à des fins de ciblage. Au moins, car au-delà de ce qui est propre aux relations entre annonceurs et vendeurs d’achats d’espaces publicitaires, les jugements rendus le 12 juillet par le Tribunal administratif de Paris dans des affaires opposant l’administration fiscale à Google France sont caractéristiques de l’existence d’un no man’s land fiscal, la fiscalité de l’économie digitale.
1. Les faits
Nous le savons, nous les annonceurs, comme du reste les consommateurs de musique en ligne par exemple, il se passe des choses en Irlande au seul vu des factures émises par l’un de leurs principaux vendeurs d’achats d’espaces publicitaires, Google. Nous avons beau avoir affaire à des salariés de la filiale française du géant de l’internet quant aux modalités d’accès à ses espaces, ce sont des contrats d’achats que nous signons avec sa filiale irlandaise. C’est elle que nous rémunérons directement. Google France intervient en qualité de prestataire de services de sa sœur (à moins qu’il ne s’agisse de sa cousine) d’outre-Manche, ce rémunérée par un pourcentage de 8 % de ses coûts (prix de transfert avec méthode du coût majoré). Google France, nous met en contact avec notre fournisseur, puis nous apporte çà et là assistance.
L’administration fiscale, comme elle l’eût fait par exemple chez Air BnB France, considère que cette marge de 8 % n’est pas représentative de la part d’intervention de Google France dans la création de profit de Google. Pour s’en tenir à l’impôt sur les sociétés, elle considère que Google France est un établissement stable de sa sœur (ou de sa cousine), francisant en quelque sorte par ce biais les factures irlandaises et ramenant d’Irlande en France la masse imposable liée.
2. Les jugements
Celles et ceux qui doutent de l’indépendance du juge fiscal ont l’occasion de ne plus douter. Le juge s’en est tenu à des considérations strictement techniques pour faire droit aux arguments avancés par Google. Pour s’en tenir à l’impôt sur les sociétés, il s’en tient au droit et aux faits. Le droit : c’est la vieille convention fiscale franco-irlandaise qui dit ce qu’est un établissement et a contrario ce qui n’en est pas un. Elle dit surtout à ce titre que pour être établissement stable d’une structure étrangère, il faut être en mesure d’engager juridiquement cette dernière. Or Google France n’a pas cette capacité. Dura lex sed lex, inutile pour le juge de rentrer dans d’autres considérations. L'administration fiscale est ainsi déboutée de ses velléités, non seulement en matière d’impôt sur les sociétés, mais aussi en matière de TVA notamment, sur des bases cette fois non conventionnelles mais toutes aussi évidentes pour qui s’en tient à la lettre des textes. Nous verrons si le juge d’appel l’entend ainsi.
3. Le constat
L’administration fiscale se trouve aussi démunie que l’OCDE à qui le G20 a confié la mission de retoiletter l’ensemble des règles de fiscalité internationale au sortir de la crise financière de 2008. Dans le viseur, non seulement la fraude mais aussi l’optimisation fiscale agressive. Au pas de charge, l’OCDE a (bien) travaillé et pondu toute une kyrielle de mesures qui ne manquent pas depuis quelques mois de chambouler l’organisation des groupes. Sur un point un seul l’institution internationale a achoppé et rendu copie blanche : la fiscalité de l’économie du digital. Entre absence de consensus et experts dépassés par une matière nouvelle aux limites inconnues. Les vieux remèdes demeurent, telle cette vieille convention, sans effet sur des maux dont on perçoit qu’il existe sans toutefois encore à ce stade en ressentir les symptômes les plus délétères qui soient. Il y a urgence pourtant pour la fiscalité à appréhender de façon plus juste cette économie nouvelle, ces richesses nouvelles (big data).
Quelles suites ? L'Etat français a annoncé sa volonté de faire appel tout en ouvrant la voie à un accord transactionnel. Plus largement, la France souhaite que le sujet de la fiscalité des grandes entreprises du numérique soit traitée au niveau européen et a annoncé que serait présentée une proposition franco-allemande en ce sens lors du prochain Conseil des ministres européen le 15 septembre prochain.
Pour aller plus loin : Accès aux jugements rendus le 12 juillet 2017 par le Tribunal administratif de Paris