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Décisions Focus de la veille 2024-2 : Shrinkflation et liberté d'expression, Influenceurs : ni mannequin ni artiste-interprète, Synchronisation d'une œuvre musicale dans la bande sonore d'une œuvre audiovisuelle : pas d'atteinte de principe au droit moral de l'auteur, Application au référencement naturel des règles applicables au référencement payant

Focus jurisprudentiel de la veille juridique de l'Union des marques 2024-2.

 

Shrinkflation et liberté d'expression

Dans cet arrêt, le tribunal de commerce de Paris condamne une société de grande distribution pour diffusion d’une campagne de publicité «shrinkflation» à l’égard de produits qu’elle vend. Les juges retiennent que le message du distributeur constitue une pratique commerciale déloyale, sa communication allant inévitablement amener le consommateur à se détourner des produits de la société fournisseur. De plus, la campagne d’affichage cause un trouble manifestement illicite que les juges ordonnent de faire cesser par le retrait des affichettes, à ses frais.

Tribunal de commerce de Paris, 24 janvier 2024, n°2023069037, une société de grande distribution c/ une société de produits alimentaires de grande consommation, référé

[campagne publicitaire – name and shame – shrinkflation – alimentaire – référé – article L. 121-1 du code de la consommation – liberté d’expression (non) – pratique commerciale déloyale (oui)]

Une société de grande distribution (société X) a diffusé une large campagne de publicité (relayée dans plusieurs médias : presse, radio, télévision, affichage) intitulée « shrinkflation » au sein de ses différents points de vente concernant les produits qu’elle vend de la société de produits alimentaires de grande consommation (société Y), avec la mention sous forme d’affichettes apposées dans les linéaires : « Ce produit a vu son contenant baisser et le tarif pratiqué par notre fournisseur augmenter. Nous nous engageons à renégocier ce tarif ».

La société Y contestant cette communication en ce qu’elle aurait eu un impact immédiat et brutal, se traduisant notamment par un effondrement des ventes au cours du 4ème trimestre 2023 par rapport aux périodes comparables, a assigné la société X afin voir procéder au retrait des affichettes et à la publication dans 5 médias d’un message informant la condamnation de la société X.

Les juges retiennent que le discours de la société X n’est pas quantifié, qu’il revêt un caractère vague et subjectif. En effet, elle n’indique pas l’ordre de grandeur de l’augmentation réelle ou supposée du prix au kilo ou au litre et elle affirme qu’il y a dégradation du rapport quantité-prix sans le démontrer. Également, elle ne dit pas qui a, ou aurait, réalisé les analyses d’écart, ni comment, fournissant ainsi des informations invérifiables. Enfin, elle mentionne le « tarif » (élément de la relation commerciale entre elle et son fournisseur, et qui n’est pas connu du consommateur) alors que le consommateur est concerné par le prix de vente final.

Par ailleurs, la société X commercialise en MDD des produits directement concurrents de ceux de la société Y, qu’ainsi la campagne publicitaire menée concernant ses produits n’est pas neutre quant aux intérêts de la société X, qu’elle peut lui bénéficier en termes de report de clientèle.

Ainsi, le message de la société X « est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service », selon les termes de l’article L. 121-1 du code de la consommation, sa communication allant inévitablement amener le consommateur à se détourner des produits de la société Y. A noter que la société X invoquait la liberté d’expression afin notamment de justifier sa campagne d’affichage.

Dès lors, la campagne d’affichage cause un trouble manifestement illicite que les juges ordonnent de faire cesser par le retrait des affichettes concernant l’ensemble des produits commercialisés par la société Y dans l’ensemble des points de vente (physiques et digitaux) de la société X à ses frais. Ils ne font pas droit à la demande de publicité de la décision, estimant que l’ordonnance peut être frappée d’appel alors que la publicité de la décision sur les sites de la société X présenterait un caractère irréversible.

 Influenceurs : ni mannequin ni artiste-interprète

La Cour d'appel de Paris refuse de requalifier le contrat signé entre un influenceur et une agence de contrat de travail. Elle considère que l'influenceur ne peut être considéré ni comme un mannequin ni comme un artiste-interprète en raison de la liberté dont il dispose pour réaliser ses prestations.

Cour d’appel de Paris, 23 février 2024, n°23/10389, Influenceur c/ Bolt Influence

[agence de marketing d’influence – influenceurs – contrat – mannequin (non) – artistes-interprètes (non)]

Un influenceur a conclu avec une agence un contrat de représentation exclusive d’une durée initiale d’un an, renouvelé pour deux ans. Quelques mois après le renouvellement du contrat, l’influenceur notifie à l’agence sa résiliation immédiate aux torts exclusifs de cette dernière.

L’agence assigne l’influenceur devant le Tribunal de commerce afin que lui soit communiquée la liste des prestations réalisées avant la rupture du contrat et pour rupture brutale anticipée du contrat.

Selon l’influenceur, le contrat conclu avec l’agence doit être requalifié en contrat de travail dans la mesure où il estime avoir réalisé les prestations en tant que salarié, et plus particulièrement en qualité de mannequin. Il soulevait l’incompétence du Tribunal de commerce et sollicitait le renvoi de l’affaire devant le Conseil des prud’hommes.

En effet, il considère qu’il « prêtait son image pour réaliser une présentation normée et contrôlée par l'annonceur, laquelle était exclusive de toute liberté d'interprétation au regard des instructions précises et contraignantes qu'il recevait, souvent sous la forme de feuilles de route ou de « briefs », assorties d'un calendrier de publication ». A titre subsidiaire, il revendique le statut d’artiste-interprète.

Toutefois, la Cour affirme qu’il est « manifeste que l'influenceur, qui créait des mises en scène, en fonction de choix créatifs, demeurait libre de réaliser des vidéos selon son propre style et de déterminer la manière selon laquelle il présentait le produit » et que l’influenceur « disposait d'une totale liberté choix quant à la réalisation des campagnes qui lui étaient proposées par [l’agence], et qu'il pouvait ainsi refuser d'y participer ». Par ailleurs, la Cour relève que l’influenceur ne percevait pas de rémunération pouvant s’apparenter à un salaire dans la mesure où les sommes versées par l’agence étaient des avances, déduites des factures envoyées postérieurement par l’influenceur.

Sur le statut d’artiste-interprète, la Cour relève que l’influenceur « n'avait aucun rôle prédéfini à jouer ni aucun texte à dire, dans le cadre des vidéos, mais qu'il créait lui-même des mises en scènes, afin de promouvoir les produits ».

La Cour retient donc que l’influenceur ne peut ici ni bénéficier du statut de mannequin, ni de celui d’artiste-interprète. Ainsi, le contrat conclu entre l’agence et l’influenceur n’est pas considéré comme un contrat de travail mais comme contrat commercial.

Cette décision est susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

Synchronisation d'une œuvre musicale dans la bande sonore d'une œuvre audiovisuelle : pas d'atteinte de principe au droit moral de l'auteur

La Cour de cassation rappelle qu'il appartient aux titulaires des droits d'auteur de démontrer que l'utilisation d'extraits de leur œuvre par synchronisation porte atteinte à son intégrité et au respect qui lui est dû. Le fait d'avoir consenti par le passé à une utilisation potentiellement dévalorisante de l'œuvre est pris en compte pour déterminer si une atteinte à l'intégrité de l'œuvre est constituée.

Cour de cassation, 1ère chambre civile, 28 février 2024, n°22-18.120, Titulaires des droits d’auteur c/ Intermédiaire cessionnaire des droits et société productrice de films

[droit d’auteur – cession des droits – respect du formalisme – utilisation d’extraits – atteinte au droit moral (non)]

Deux extraits d’une célèbre chanson ont été synchronisés dans un film, avec l’autorisation d’un intermédiaire disposant d’écrits non signés de la société productrice, cessionnaire des droits d’auteur de la chanson. Considérant que cette utilisation a été faite sans leur autorisation et qu’elle porte atteinte à leur droit moral, les auteurs-compositeurs, les interprètes, la personne en charge de l’arrangement musical et la société productrice ont assigné l’intermédiaire et la société ayant produit le film en indemnisation au titre de l’atteinte à leur droit d’édition, de production et à leur droit moral. Ils demandent également la suppression des extraits.

Dans un arrêt rendu le 11 mars 2022, la Cour d’appel de Paris rejette ces demandes et confirme la condamnation de la société productrice à verser aux sociétés attaquées des dommages et intérêts pour atteinte à leur réputation professionnelle. Les ayants-droits forment un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation rappelle d’abord que l’exigence d’un écrit pour constater la cession des droits de propriété intellectuelle sur une œuvre de l’esprit n’est applicable qu’aux contrats conclus par l’auteur lui-même. Ainsi, les contrats conclus par les cessionnaires des droits ayant pour objet des sous-exploitations de l’œuvre par un tiers n’ont pas besoin d’être faits par écrit. En l’espèce, la Cour approuve la décision de la cour d’appel, qui, tenant compte des échanges ayant eu lieu entre l’intermédiaire et la société productrice de la chanson, considère que cette dernière « a bien donné son accord, avant que le film […] ne soit distribué en salles le […], sur le principe et sur les modalités de son autorisation d'utilisation de la chanson […] dans la bande sonore du film ».

Ensuite, la Cour approuve la cour d’appel qui avait retenu que « l'utilisation d'une œuvre musicale par synchronisation dans la bande sonore d'une œuvre audiovisuelle, se faisant nécessairement sous la forme d'extraits, ne saurait être regardée par principe comme réalisant une atteinte à l'intégrité de l'œuvre et au droit moral de l'auteur ou de l'artiste-interprète ». Il appartient donc aux ayants-droits de démontrer que l’utilisation d’extraits de l’œuvre par synchronisation porte effectivement atteinte à son intégrité et au respect qui lui est dû, preuve qui n’est pas rapportée en l’espèce. Il est intéressant de noter que pour retenir que l’utilisation d’extraits de la chanson dans le film ne portait pas atteinte à son intégrité, la cour d’appel tient compte du fait que, par le passé, les ayants-droits « ont consenti à une dévalorisation de leur œuvre en autorisant son utilisation dans un spot publicitaire sur un médicament contre les maux de tête, donnant à entendre, dans des conditions de nature à provoquer immédiatement un mal de tête, l'air de la chanson Partenaire particulier sorti d'une flûte stridente et jouant faux sur toute la durée du spot ».

En conséquence, la Cour confirme la décision de la cour d’appel.

Application au référencement naturel des règles applicables au référencement payant

Allant à l'encontre de nombreux arrêts rendus ces dernières années, la Cour de cassation applique au référencement naturel les règles appliquées jusqu'alors au référencement payant. Le simple fait que le signe ne soit pas visible par l'internaute moyen ne suffit pas à écarter la contrefaçon.

 Cour de cassation, chambre commerciale, 18 octobre 2023, n°20-20.055

[marques – référencement naturel – référencement payant – contrefaçon (non)]

Une société exerçant une activité de vente de fleurs utilise la marque d’une société concurrente pour le référencement payant (réservation de la marque concurrente sur la plateforme Google Adwords) et naturel (reproduction répétée de la marque concurrente dans le code source des pages du site) du site internet qu’elle édite. Le titulaire de la marque et la société disposant d’une licence d’utilisation de la marque assignent la société en contrefaçon de marque et concurrence déloyale et parasitaire.

Dans un arrêt rendu le 3 mars 2020, la Cour d’appel de Paris rejette les demandes du titulaire de la marque et de son licencié. Le licencié, venant au droit du titulaire de la marque, forme un pourvoi en cassation.

Sur l’usage de la marque dans le cadre du référencement payant, la Cour de cassation réaffirme que le titulaire de la marque peut interdire à un tiers d’utiliser le signe protégé sans son consentement si son utilisation est susceptible de porter atteinte à l’une des fonctions essentielles de la marque, et notamment à sa fonction de garantie de l’origine. L’atteinte à l’une des fonctions de la marque peut être caractérisée que le signe soit visible par l’internaute (dans l’URL, le lien hypertexte ou l’article lui-même) ou non. En l’espèce, la Cour approuve la décision de la cour d’appel, dans la mesure où elle résulte d’une étude factuelle de l’usage réalisé par la société assignée et d’une évaluation du risque de confusion que cet usage est susceptible de créer dans l’esprit de l’internaute moyen. Pour justifier sa décision, la cour d’appel relève que :

      • l’annonce litigieuse était immédiatement suivie par l’annonce du titulaire de la marque après une recherche avec le mot-clé correspondant à la marque sur le moteur de recherche Google ;
      • le signe protégé n’est utilisé ni dans l’annonce elle-même, ni dans le lien, ni dans l’adresse URL ;
      • l’annonce litigieuse utilise des termes courants pour décrire l’activité de la société.

Sur l’usage de la marque dans le cadre du référencement naturel, la Cour, allant à l’encontre de nombreux arrêts rendus ces dernières années, adopte une solution analogue à celle retenue pour le référencement payant et affirme que le « titulaire de la marque peut interdire l'utilisation d'un signe par un tiers dans le code-source de son site internet, même s'il n'est pas visible aux yeux du public, dès lors qu'il propose comme résultat à la recherche d'un internaute une alternative par rapport aux produits ou services du titulaire de la marque et qu'il ne permet pas ou permet seulement difficilement à l'internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par le référencement naturel proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d'un tiers ». Ainsi, le simple fait que le signe ne soit pas visible pour l’internaute moyen n’est pas suffisant pour écarter la contrefaçon. Il convient de rechercher si la présentation du site n’est pas de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit de l’internaute moyen. Cette recherche ayant été réalisée par la cour d’appel en l’espèce, la Cour confirme la décision d’appel.

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