Focus jurisprudentiel de la veille juridique de l'Union des marques 2024-1.
Condamnation d'une agence de marketing d'influence pour rupture fautive du contrat et factures impayées
Les juges constatent l’exécution fautive du contrat de la part de l’agence qui n’a pas procédé aux règlements des sommes dues et, par ailleurs, considère que les agissements envers les créateurs pour se libérer de la relation contractuelle constituent un cas de rupture abusive d’un contrat à durée déterminée justifiant le règlement d’une indemnité.
Tribunal de commerce de Paris, 16 janvier 2023, n°J2022000630, créateurs de contenus c/ agence de marketing d’influence
[agence de marketing d’influence – influenceurs – contrat – rupture fautive (oui) – préjudice (oui) – violation de la clause d’exclusivité (oui) – factures impayées (oui)]
Deux créateurs de contenus présents sur différents réseaux sociaux ont contractualisé avec une agence de marketing d’influence.
Pour le premier, il s’agissait d’un contrat de 2 ans, non renouvelable par tacite reconduction, aux termes duquel le créateur concédait à l’agence à titre exclusif la gestion de la monétisation de ses comptes, en contrepartie d’une rémunération globale par l’agence de 2 280 000 euros HT sur toute la durée du contrat. L’agence lui présentait les annonceurs et les produits, l’influenceur s’engageait à essayer les produits des annonceurs et à concevoir, produire et réaliser les posts ainsi qu’à les publier sur ses comptes. Pour le second, il s’agissait d’un contrat dont l’objet et la durée sont identiques, pour une rémunération de 1 680 000 euros HT.
Dès les premiers mois de collaboration, des désaccords ont surgi de part et d’autre dans les deux relations, si bien qu’il a été mis fin aux relations contractuelles. Les créateurs de contenus assignent l’agence estimant qu’elle a manqué à ses obligations contractuelles, qu’elle a résilié unilatéralement les contrats de manière fautive, et demandent réparation au titre du préjudice subi lié à la rupture fautive ainsi que le paiement des factures impayées. L’agence quant à elle soutenait l’existence de manquements à la clause d’exclusivité concédée par les influenceurs et leurs refus de procéder à plusieurs publications.
Sur l’exécution du contrat, les juges, s’en tiennent aux seuls faits établis avant la rupture conventionnelle, et non contestés, que constituent les retards de paiement ou l’absence de paiement de certaines factures de la part de l’agence.
Sur la rupture contractuelle, les juges constatent l’exécution fautive du contrat de la part de l’agence qui n’a pas procédé aux règlements des sommes dues et, par ailleurs, considère que les agissements envers les créateurs pour se libérer de la relation contractuelle constituent un cas de rupture abusive d’un contrat à durée déterminée justifiant le règlement d’une indemnité. Le tribunal considère que pour évaluer le préjudice né de la rupture fautive des relations, il convient de retenir la marge brute selon la formule « chiffre d’affaires moins coûts de revient directs ». En l’absence d’historique comptable (caractère récent de l’activité), mais à partir des déclarations des créateurs, le tribunal retient que les coûts de revient directs ne sauraient excéder un tiers du chiffre d’affaires, déduction faite des montants payés
Sur la demande de condamnation au titre des factures impayées, le tribunal considère que le caractère fautif des refus de publier certains posts par les influenceurs et le préjudice financier de l’agence qui en découlerait, ne sont pas démontrés puisque les justificatifs produits, consistant pour la plupart en échange de messages postérieurs à la rupture des relations, ne permettent pas d’établir la faute. Toutefois, les violations à la clause d’exclusivité le sont.
En conséquence, au visa des articles 1103, 1193 et 1104 du code civil, le tribunal condamne l’agence au paiement de 866 000 euros (2/3 de 1 300 000 euros) pour l’un des créateurs, 524 465 euros (2/3 de 801 742 euros) pour l’autre, au titre du préjudice né de la rupture fautive des relations par l’agence.
Par ailleurs, s’agissant des factures impayées, l’agence est condamnée au paiement de 216 000 euros pour l’un des créateurs (306 000 - 90 000, c’est-à-dire le total des factures impayées pour ce créateurs minoré de l’indemnité pour violation de la clause d’exclusivité), 190 000 euros pour l’autre (250 000 - 60 000).
Les dépens sont également mis à la charge de l’agence.
Devoir d'information de l'agence en communication envers l'annonceur
L’agence de communication se devait de conseiller utilement son client sur les conséquences potentielles du choix d’un nom emportant confusion avec un nom déjà existant d’une autre structure. Ainsi, l’agence a fait preuve d’un manque de prudence et de diligence en proposant un nom déjà utilisé par une société ayant une activité identique à celles de membres de son client et a manqué à son obligation de conseil en n’attirant pas l’attention de son client sur le risque existant dans ce type de situation.
Cour d’appel de Chambéry, 24 octobre 2023, n°21-01.016, syndicat professionnel c/ agence de communication
[agence de communication – nom de marque – devoir d’information – garantie d’éviction – manque de prudence et de diligence (oui) – dommages-intérêts (oui)]
En l’espèce, un syndicat professionnel avait confié à une agence de communication une mission d’accompagnement stratégique et de mise en œuvre de sa communication. Parmi les prestations devant être fournies, était prévue « la conception de l’identité de l’annonceur, des éléments de langage et de la charte publicitaire dans le respect du positionnement défini préalablement avec l’annonceur ». L’exécution de cette prestation a conduit l’agence à proposer un nouveau nom, celui d’Actibaies (qui a été retenu par le syndicat sans « s »).
Cependant, le syndicat a été contacté par la société Actibaie Concept, qui s’est plainte de la similitude des dénominations sociales utilisées dans le même domaine, dans la même région et donc susceptibles selon elle d’entraîner une confusion et de constituer un acte de concurrence déloyale. Après transaction, le syndicat a donc versé à la société la somme de 50 000 euros en dédommagement pour l’utilisation du nom et de la marque Actibaie.
Le syndicat a par la suite intenté une action à l’égard de l’agence de communication afin d’engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil en raison de manquements à ses obligations contractuelles. Le tribunal de commerce d’Annecy, dans sa décision en date du 24 mars 2021, a débouté le syndicat de ses demandes. Le syndicat a donc fait appel de la décision.
La Cour rappelle qu’au regard de l’article 1112-1 du code civil, « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.
Ainsi, ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie. Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
L’agence estimait que son devoir de conseil portait uniquement sur une mission d’accompagnement stratégique et de mise en œuvre de la communication du syndicat et non une mission juridique relative au droit des marques. La Cour en revanche souligne qu’elle avait la conception de l’identité commerciale du syndicat et, qu’à ce titre, la dénomination sociale proposée devait non seulement correspondre aux objectifs définis dans sa mission mais devait être réellement utilisable par le client sans que celui-ci ait à se confronter à d’autres éventuels primo utilisateurs. L’agence savait que le nom qu’elle allait proposer, s’il était retenu, serait déposé en tant que marque à l’INPI. Son client avait confiance en elle dans son domaine de compétence spécifique.
Ainsi, la Cour retient que l’agence de communication se devait de conseiller utilement son client sur les conséquences potentielles du choix d’un nom emportant confusion avec un nom déjà existant d’une autre structure. Ainsi, l’agence a fait preuve d’un manque de prudence et de diligence en proposant le nom d’« Actibiaie » alors même que celui-ci était déjà utilisé par une société ayant une activité identique à celles de membres de son client et a manqué à son obligation de conseil en n’attirant pas l’attention de son client sur le risque existant dans ce type de situation.
Par ailleurs, la Cour rappelle qu’outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. Aux termes de l’article 1231-1 du code civil, « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ».
La Cour retient que la transaction financière effectuée avec la société Actibaie Concept constitue la preuve des difficultés rencontrées par le syndicat et de l’existence d’un préjudice financier certain, suite à l’adoption du nom que l’agence lui avait proposé, alors que ce nom n’était manifestement pas disponible sans risques, sachant que c’était en outre le seul nom qui avait été proposé, sans recherches d’antériorité sérieuses ou en tout état de cause sans attirer l’attention du syndicat sur le risque de confusion.
En conséquence, la Cour condamne l’agence à payer au syndicat la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice financier subi. Également, l’agence est condamnée aux dépens de 1ère instance et d’appel, ainsi qu’à une indemnité procédurale de 4 000 euros à l’égard du syndicat.
Licéité des opérations de prospection commerciale par voie électronique
La prospection commerciale par voie électronique réalisée pour le compte d’une société n’est pas fondée sur un consentement répondant aux exigences du RGPD si le formulaire depuis lequel il est recueilli par des partenaires ne contient pas de liste exhaustive et à jour des destinataires de données.
Doit être considérée comme destinataire de données, toute société pour le compte de laquelle un traitement de données est réalisé, même si les données personnelles ne lui sont pas directement transmises et ne figurent pas dans son système d’information.
CNIL, 12 octobre 2023, SAN-2023-015, CANAL+
[données personnelles – prospection commerciale – recueil du consentement – information sur le traitement des données]
Le 12 octobre 2023, la formation restreinte de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a prononcé à l’encontre d’une société spécialisée dans l’édition de chaînes et la distribution d’offres de télévision payante une amende d’un montant de 600 000 euros notamment pour des manquements aux obligations en matière de prospection commerciale et de respect des droits des personnes.
S’agissant du manquement à l’obligation de recueillir le consentement des personnes concernées pour la réalisation d’opérations de prospection commerciale par voie électronique, la CNIL indique que la prospection commerciale réalisée pour le compte de la société n’est pas fondée sur un consentement éclairé des personnes concernées dans la mesure où le formulaire depuis lequel ses partenaires recueille le consentement ne contient pas de liste exhaustive et à jour des destinataires de données. Cette décision est l’occasion pour la CNIL de préciser la notion de destinataire des données. En effet, elle estime que dans la mesure où les opérations de prospection commerciale sont réalisées par des prestataires pour le compte de la société, cette dernière doit être regardée comme destinataire des données, même si les données personnelles ne lui sont pas directement transmises et ne figurent pas dans sa base de données. La société devait donc figurer sur la liste des partenaires, consultable depuis le formulaire de collecte des données, pour pouvoir réaliser des opérations de prospection commerciale licites.
La CNIL précise que l’annonceur est tenu de contrôler les conditions dans lesquels ses partenaires recueillent le consentement des personnes concernées afin de s’assurer que ce consentement est valable au regard du RGPD, même s’il n’exerce aucun contrôle sur les formulaires de collecte ou sur leur contenu.
S’agissant de l’obligation d’informer les personnes concernées du traitement de leurs données personnelles, la CNIL relève que la politique de confidentialité de la société ne contenait pas une information suffisamment détaillée sur les durées de conservation des données et ne mentionnait pas la possibilité pour les personnes concernées d’introduire un recours auprès de la CNIL. Ces manquements ayant été corrigés au cours de la procédure, la CNIL considère qu’ils ne sont pas constitués.
Toutefois, s’agissant de l’information fournie aux prospects lors des appels de démarchage téléphonique, la CNIL considère qu’un manquement à l’article 14 du RGPD est constitué. En effet, il est ressorti des contrôles réalisés que plusieurs prospects n’avaient reçu aucune information concernant le traitement de leurs données personnelles par la société lors de l’appel.
La CNIL retient également :
- Un manquement aux obligations relatives aux modalités d’exercice des droits des personnes. La CNIL constate en effet que plusieurs demandes ont été traitées par la société mais que les personnes concernées n’ont pas été informées des suites apportées à ces demandes.
- Un manquement à l’obligation d’encadrer par un acte juridique formalisé les traitements effectués pour le compte du responsable de traitement. La CNIL considère que même si des avenants visant à encadrer les traitements de données personnelles réalisés dans le cadre du contrat avaient a priori été signés, aucun acte juridique n’encadrait le traitement entre 2019 et 2022. Elle considère que le manquement est donc constitué « pour les faits passés ».
- Un manquement à l’obligation de sécurité. La société utilisait une technologie pour hacher les mots de passe de ses collaborateurs considérée comme n’étant pas conforme à l’état de l’art.
- Un manquement à l’obligation de notifier à la CNIL une violation des données à caractère personnel. Compte tenu du nombre de personnes concernées (10 154 personnes), la CNIL considère que la violation de données subie par la société aurait dû lui être notifiée.