Focus jurisprudentiel de la veille juridique de l'Union des marques 2022-1.
Communication dans le cadre d'un festival : ambush marketing caractérisé
Un annonceur a été condamné à verser 50.000 euros de dommages et intérêts pour parasitisme à l’association gérant un célèbre festival de cinéma pour avoir organisé des opérations de communication digitale centrées sur la présence de ses égéries alors même qu’il n’était pas partenaire dudit festival. Par ailleurs, le Tribunal conclut à la contrefaçon des droits d’auteur sur une affiche du Festival reproduite dans les vidéos diffusées par l’annonceur. Sur ce point, les juges ont écarté la théorie de l’accessoire dont se prévalait l’annonceur.
Tribunal judiciaire Paris, 11 décembre 2020, Association Française du festival international du film c/ une société dans le secteur du luxe et de la mode
(Marque – parasitisme – ambush marketing (oui) – contrefaçon de droits d’auteur – caractère accessoire de la représentation de la marque)
L’association organisant le Festival de Cannes a assigné une marque de luxe pour avoir organisé une opération de communication digitale à travers notamment la mise en ligne de six vidéos retraçant la mise en beauté d’égéries dans le cadre du festival mais dont certains plans reprennent l’affiche officielle de l’édition 2019 du festival figurant sur le fronton du Palais des Festivals.
L’annonceur soutenait que l’affiche litigieuse n’apparaissait sur ses vidéos que de façon partielle et fugitive et uniquement parce qu’elle était apposée de manière monumentale sur le fronton du Palais des festivals au-dessus des marches et qu’en souhaitant filmer ses égéries et ainsi indiquer sa présence au festival, il n’était pas possible de ne pas faire apparaître l’affiche. En plus de se prévaloir du caractère accessoire des apparitions de l’affiche dans ses vidéos, sans revendiquer expressément le droit à l’information du public, l’annonceur reprenait à son compte la référence faite par l’association concernant l’article L.122-5 du CPI pour affirmer que l’apparition de l’affiche au sein de ses vidéos avait pour but d’informer le public de sa présence au festival de Cannes.
Toutefois pour le Tribunal, même si l’affiche du Festival n’était pas au centre des vidéos de l’annonceur, « il ne peut être raisonnablement soutenu » que l’annonceur n’avait pas d’autre solution pour afficher sa présence ou celle de ses égéries au Festival de Cannes que de filmer le fronton du Palais des Festivals sur lequel était apposée l’affiche litigieuse. Il rejette donc l’argument fondé sur le caractère accessoire de la représentation de l’affiche. Par ailleurs, le Tribunal relève que les vidéos ont un caractère promotionnel clairement affiché et ne peuvent s’apparenter à des reportages à but informatif et qu’il n’est pas fait mention au crédit des vidéos de la source et du nom de l’auteure de l’affiche litigieuse.
Le Tribunal conclut à la contrefaçon des droits d’auteur mais aucune condamnation à des dommages et intérêts n’est prononcée dès lors que la demanderesse n’a formulé aucune demande sur ce fondement.
L’association reprochait également à l’annonceur des actes de parasitisme pour avoir reproduit de manière illicite l’affiche du Festival avec en outre le recours à des hashtags évocateurs avec l’incrustation des marques de l’annonceur en surimpression pour laisser croire à un partenariat entre lui et le Festival et l’apposition de la marque distinctive du Festival de Cannes sur une image insérée dans une story permanente d’Instagram retraçant la journée d’une ambassadrice de la marque.
L’annonceur soutenait que les marques invoquées n’étaient pas renommées et qu’en tout état de cause aucun usage à titre de marque n’en était fait. Toutefois, après avoir reconnu que les marques étaient renommées, le Tribunal se prononce en faveur de l’existence d’actes de parasitisme :
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- L’incrustation des signes de l’annonceur sur l’affiche du Festival laisse croire à l’existence d’un partenariat même si l’annonceur ne revendique expressément aucun partenariat ;
- L’utilisation de nombreux hashtags habilement positionnés à certains moments clés des vidéos atteste du caractère promotionnel et commercial de celles-ci et participe d’une tentative de s’associer à l’image du Festival et de profiter de sa valeur économique ;
- La reproduction non autorisée des marques du Festival quand bien même celles-ci ne seraient visibles qu’un temps très court dans les vidéos constitue une atteinte et un usage à titre de marque.
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Le Tribunal conclut enfin que s’il est possible de faire référence à la tenue du Festival de Cannes et même de représenter le Palais des Festivals, il ne peut être admis de se placer dans le sillage de son organisateur en tentant de contourner le caractère exclusif des partenariats promotionnels conclus par l’association organisatrice afin de bénéficier de l’image de prestige et de glamour du Festival alors même que ces partenariats commerciaux constituent une source majeure des revenus de la demanderesse. De plus, ces partenariats commerciaux reposent sur l’exclusivité promise aux partenaires officiels en contrepartie d’importants investissements, exclusivité mise à mal en l’espèce. Le Tribunal rappelle qu’en matière de parasitisme l’existence d’un risque de confusion n’est pas requise : le fait que les vidéos litigieuses aient été diffusées uniquement sur les réseaux sociaux de la défenderesse ne vient pas amoindrir le profit induit de manière injustifiée.
Les agissements de la défenderesse «traduisent indéniablement une volonté fautive de profiter, de manière indue puisque sans avoir à supporter les coûts d’un tel partenariat officiel, des retombées en termes de notoriété et d’aura du Festival, lequel constitue bien, en tant qu’événement annuel incontournable du cinéma international et mondialement reconnu (majeur selon les termes mêmes de la défenderesse), une valeur économique indubitable résultant de près de 50 ans d’investissement, qui seule peut expliquer la décision de grandes marques […] de recourir pendant de très nombreuses années à de coûteux contrats de partenariat ».
Aucune demande indemnitaire n’était formulée sur le fondement de la contrefaçon du droit d’auteur, aucune somme n’est allouée sur ce fondement. L’annonceur est condamné à payer 50.000 euros au titre du parasitisme. Il est également fait interdiction de poursuivre la publication des vidéos litigieuses.
Slogan publicitaire et musique
Postérieurement à la fin d’un contrat d’adaptation d’une chanson, les auteurs de celle-ci ont assigné un annonceur en contrefaçon de droit d’auteur et parasitisme. Mais leurs demandes sont rejetées dès lors que la mélodie n’a pas été reprise. Le Tribunal relève que le slogan publicitaire qui a été conservé est le fruit des investissements publicitaires de l’annonceur.
Tribunal judiciaire Paris, 21 janvier 2022, MM. X et Universal Music Publishing c/ MAAF Assurances et autre
(Contrefaçon (non) – musique – originalité (oui) – absence de reprise de la mélodie – fin du contrat permettant l’adaptation de la chanson – parasitisme (non))
Une société d’assurances, par le biais de son agent, avait conclu un contrat d’adaptation de la chanson « C’est la ouate » à des fins publicitaires. Après deux renouvellements, ce contrat a pris fin le 11 mars 2019.
L’annonceur ayant diffusé sur sa chaîne Youtube une campagne publicitaire intitulée « Qui peut concurrencer la MAAF ? » dans laquelle ses nouveaux personnages concluent toujours par la réplique « Rien à faire, c’est la MAAF qu’il (elle) préfère ! », le compositeur et les deux co-auteurs l’ont assigné en contrefaçon et parasitisme considérant qu’il s’agissait d’une adaptation non autorisée de l’œuvre.
En premier lieu, le tribunal établit le fait que la combinaison de la phrase « de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère » avec la mélodie de la chanson dont elle est extraite, est protégeable au titre du droit d’auteur. En l’espèce, selon les juges, il convenait de rechercher si « les phrases alternativement déclamées dans le spot publicitaire de la MAAF « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il préfère » et « Rien à faire, c’est la Maaf que je préfère » constituent la contrefaçon de l’œuvre […] c’est- à-dire la combinaison de la phrase « de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère » avec la mélodie de la chanson dont elle est extraite ». Après avoir relevé que la mélodie de la chanson n’a pas été reprise et que n’a été conservée que la chute de la phrase dont l’utilisation avait été précédemment autorisée (« Efficace et pas chère c’est la MAAF que je prefère…c’est la MAAF », c’est-à-dire le verbe « préférer » conjugué à la première ou à la troisième personne, les juges rejettent les demandes en contrefaçon.
Le Tribunal rejette également les demandes subsidiaires fondées sur le parasitisme. Après avoir constaté que la phrase chantée « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère constituait une valeur économique dès lors qu’elle a fait l’objet d’une autorisation d’utilisation entre 2004 et 2020 contre le paiement d’une somme forfaitaire, il conclut que la reprise du slogan « Y’a rien à faire c’est la MAAF qu’il/elle préfère » traduit la volonté de maintenir le lien avec la campagne précédente mais « ne peut, en l’absence d’association avec la mélodie, être considéré comme une valeur économique attribuable aux auteurs de la chanson » litigieuse « dont il ne reprend que les seuls mots « c’est la () qu’elle préfère » sur lesquels » les demandeurs ne peuvent exiger de se voir reconnaître un monopole.
Le Tribunal relève par ailleurs que la notoriété de ce slogan est le fruit des investissements de l’annonceur et non des auteurs de la chanson compte tenu des campagnes publicitaires massives. Enfin est relevé le fait que l’annonceur a changé l’univers de sa campagne publicitaire au profit d’une parodie de films d’espionnage ce qui traduit la recherche d’un nouveau positionnement écartant ainsi toute volonté parasitaire.
Fin des relations commerciales avec une agence : durée de préavis et rémunération
La Cour d’appel rejette les demandes d’une agence concernant la rémunération allouée pendant la durée de préavis et relève l’argument de l’annonceur selon lequel cette rémunération ne doit pas correspondre « à la perte arithmétique du chiffre d’affaires » Par ailleurs, la durée de préavis accordée par l’annonceur de plus de 12 mois apparaît proportionnée quant à la durée de la relation commerciale qui avait débuté en 1999 (soit plus de 12 ans) et au temps estimé pour que l’agence retrouve des contrats équivalents sur le marché.
CA Paris, 15 janvier 2021, SA Engie c/ Australie
(Agence de communication – durée de préavis – rupture brutale des relations commerciales – indemnité de préavis)
Une agence de communication s’est vu confier depuis 1999 par un annonceur une mission de conseil en communication ayant évolué par différents avenants. Par un avenant de 2011, les sociétés ont stipulé la possibilité pour l’annonceur de résilier le contrat si l’agence ne remportait pas l’appel d’offres organisé la même année. L’agence n’ayant pas été retenue, les parties ont signé un dernier avenant en 2012 stipulant la poursuite du contrat pour cinq mois moyennant un honoraire forfaitaire. L’agence a assigné l’annonceur devant le Tribunal de commerce prétendant à un complément de rémunération pendant la durée du contrat et à une indemnité en réparation du préjudice fondé sur la rupture brutale des relations commerciales pour une durée de préavis prétendument insuffisante.
En première instance, les juges ont condamné l’annonceur à payer une indemnité de préavis de 355.000 euros à l’agence. En conséquence, l’annonceur a interjeté appel.
En appel, outre sa demande de dommages et intérêts fondée sur l’ancien article 442-6, I, 5° du code de commerce, l’agence a maintenu son argumentation selon laquelle l’annonceur aurait commis une inexécution déloyale du préavis en lui imposant dans le dernier avenant de 2012 une rémunération forfaitaire de 270.000 euros hors taxes outre une commission de 3% du budget publicitaire affecté à l’exploitation des créations publicitaires au lieu de la rémunération convenue en 2011 de 10% du montant des achats d’espaces publicitaires ou de celle minimale de 1.550.000 euros. Selon l’agence, ce faisant, la relation commerciale n’étaient pas maintenue aux conditions antérieures et l’annonceur aurait dû garantir pendant toute la durée du préavis un niveau d’activité comparable à celui qui le précédait.
Sur le point de la durée du préavis, la Cour d’appel estime que la durée octroyée de plus de douze mois apparaît proportionnée à l’ancienneté de la relation commerciale entre les deux sociétés depuis 1999 « ainsi qu’au temps nécessaire pour [l’agence] de trouver, sur le marché de la publicité, des contrats de substitution équivalents à la marge brute de 20% dont elle affirme qu’elle représentait le flux d’affaires avec [l’annonceur] sur le total de son résultat ».
S’agissant de la rémunération perçue pendant la durée de préavis, la Cour d’appel se range à l’argumentation de l’annonceur qui arguait que celle-ci ne doit pas correspondre « à la perte arithmétique du chiffre d’affaires » que réclamait l’agence. Elle poursuit sur ce point : « aucune disposition légale, ni l’activité de la publicité ne justifie qu’il soit dérogé à la seule appréciation de la perte des gains qu’elle a éprouvée ainsi que des pertes éventuellement subies en lien de causalité directe avec la rupture de la relation commerciale dans la limite du préavis raisonnable ». Par ailleurs, elle relève que la dépendance économique dont se prévalait l’agence n’est pas caractérisée. La Cour conclut que la rémunération prévue dans le cadre de la rupture des relations par le dernier avenant signé par les parties était juste et infirme en conséquence le jugement de première instance.
Enfin, elle écarte l’argument selon lequel les négociations du dernier avenant de 2012 organisant la prolongation du préavis auraient été déloyales.
Le jugement de première instance est infirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il avait débouté l’agence de sa demande fondée sur la responsabilité contractuelle et en appel, l’agence est déboutée de sa demande de dommages et intérêts fondée sur la rupture brutale des relations commerciales.